Compagnie

Les Autruches

(1968-1980)

Hiver 1967
"Nous commençons les répétitions du ballet d’autruches avec Yves [Brunier]. Nous peinons à coordonner nos mouvements. Mary [Underwood] qui a une grande expérience de la danse propose de nous aider. Devant notre incapacité à respecter un tempo rigoureux, elle prend l’initiative de manipuler une troisième autruche centrale, qui donne le rythme... Nous devons la suivre. Coordonner le bras droit et le bras gauche, en respectant les points fixes, les points d’ancrage tout en s’appliquant à ne pas entrer avec son corps dans le couloir de lumière, est un challenge infernal.

Une autruche est souvent à contretemps, la mienne, celle d’Yves s’en sort plutôt mieux. Piqué au vif, j’ironise, j’accuse mon autruche d’être la vraie responsable : elle devient la fautrice de trouble et son personnage s’inspire de mes défaillances. Je lui fais perdre sa culotte de dentelles, pondre un oeuf en pleine arabesque et subir d’autres misères, ce qui me laisse quelque répit pour me recaler sur les temps et me permet de ne pas perdre la face. Il faudra toute la patience et le dévouement de Mary qui s’avère très vite une manipulatrice de talent pour parvenir à me faire compter quatre temps et coordonner mes mouvements.

Le numéro se complexifie et Monique [Scheigam] va vite s’intégrer comme quatrième manipulatrice. Flottant dans un espace noir, un gros appareil photo à soufflet s’enflamme pour un boa en plumes d’autruche. Cette scène torride, ponctuée d’onomatopées lâchées par Mary pour le boa, et moi pour l’appareil, s’ingénie à parodier notre liaison. Les genres s’inversent, le boa pénètre l’appareil photo par l’objectif, se fait avaler. Ce dernier accouche de trois diapositives d’autruches. Les autruches s’échappent de leurs clichés, se lancent dans une caricature de ballet classique sur la fameuse Danse des heures de Ponchielli. Le sketch se termine avec onze autruches prises d’hystérie sur la version rocailleuse de Shout interprétée par Lulu, alors très en vogue."

Paysages intérieurs, pp. 77-79 © Actes Sud

1969
"La mise au point de ce projet ambitieux, entrecoupée par des émissions télé, des contrats brefs dans le monde entier, nous a pris un temps fou. C’est le plus long numéro que j’ai créé jusqu’à maintenant."

L'un des directeurs de Citroën, Carmen Bajot, les Compagnons de la chanson au grand complet assistent à une répétition privée organisée par Philippe Genty.

"... les rires fusent et l’accueil est enthousiaste... Le responsable de Citroën est ravi et confirme son désir de mettre sur pied un programme qui comprendra la projection du film ramené du tour du monde, l’ensemble de nos numéros pour une tournée dans toutes les villes françaises où la compagnie automobile est représentée. C’est peut-être la fin de nos soucis financiers et une occasion formidable de roder notre spectacle auprès d’un public très varié. La tournée durera quatre mois, avec des rectifications quasi quotidiennes apportées aux autruches dont je vais condenser peu à peu le rythme pour en garder le meilleur..."

Paysages intérieurs, p. 82 © Actes Sud

Les années folles
"Nous rentrons incognito dans une compagnie intitulée Compagnie Philippe Genty.
Dans le chaos où nous vivons, une urgence émerge : trouver un lieu de répétition à Paris qui nous épargne les 75 km que nous faisons parfois deux fois dans la journée pour partir et revenir à Bourron-Marlotte, et enfin déposer notre fatras d’objets, de matériaux, d’outillage dans un vrai atelier.
La création d’une compagnie qui nous donne un statut devient indispensable. Un propriétaire accepte de nous vendre un hangar de 250 m2 à côté de la Bastille au premier étage duquel nous prévoyons un coin de vie, avec salle de répétition et coin fabrication au rez-de-chaussée. Il faut rembourser les traites sur trois ans.

Les Autruches vont nous sauver. Elles s’installent pour un an à Las Vegas côtoyant le pire et le meilleur, à l’hôtel Tropicana, où chaque soir Louis Armstrong et Ella Fitzgerald présentent leur tour de chant.
Parallèlement Roland Petit et Zizi Jeanmaire nous engagent pour deux ans dans leur revue au Casino de Paris. Nous formons une deuxième équipe que nous confions à Yves et Monique, puis une troisième équipe pour répondre aux demandes aux quatre coins de la planète, aux shows télévisés à Londres, Sydney, Berlin, Tokyo, au Radio City Hall à New York. Les Autruches plaisent beaucoup, presque trop, devenant l’icône exclusive de la compagnie.

Années de suractivité. Entre deux spectacles dans les loges, j’écris avec Jean-Pierre Dutour, comédien et auteur rencontré par l’intermédiaire de Romain Bouteille, les dialogues de séquences qui passent chaque jeudi sur le petit écran. Je m’y fais ridiculiser par deux de nos personnages, Gertrude l’autruche et Barnabé le chien manipulé par Jean-Pierre."

Paysages intérieurs, p. 85 © Actes Sud

1985
"Je me rends compte que Les Autruches étaient en quelque sorte déjà une manière d’interroger un matériau, le boa en plumes, ses potentialités expressives, ses ambiguïtés signifiantes, de l’abstraction à la figuration, de la forme pure au personnage."

Paysages intérieurs, p. 129 © Actes Sud